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INTERVIEW du Professeur Henri Broch

INTERVIEW du Professeur Henri Broch
2001.01.24.15h30
Pour
La Gazeto par Jean-Pierre Cavelan

La Gazeto(LG)- Qui êtes-vous Pr Henri Broch ?
Pr Henri Broch (HB)- Je suis physicien, docteur ès sciences, professeur à l'université de Nice-Sophia Antipolis, où j'enseigne la physique et la zététique.
LG- Comment se présente la zététique par rapport à la physique ? Est-ce une discipline marginale ?
HB- Non, ce n'est pas une discipline marginale, mais elle est tout de même un peu particulière. A l'Université de Nice-Sophia Antipolis elle est reconnue et l'enseignement de zététique que je dispense est un enseignement officiel pris en charge, statutairement, par le département de physique. Mais cela est propre à l'université de Nice... Ce qui peut expliquer que si l'on demande ce qu'est la zététique à un physicien de Paris, celui ci peut très bien avouer une réelle ignorance.
LG- Si je comprends bien la zététique n'appartient pas spécialement à la physique ?
HB- Non la zététique est transdisciplinaire, elle est censée toucher toutes les disciplines, mais comme elle n'est pratiquée qu'au sein de la Faculté des Sciences de Nice par un physicien, c'est sous l'égide du département de physique et sous la responsabilité de l'Université qu'elle est enseignée.
LG- Est-ce que d'autres Universités s'intéressent aussi à la zététique ?
HB- Qui s'intéressent ? Oui.
Qui dispensent un cours régulier ? Non.
Ici l'enseignement en est à sa huitième année.
Mais quelques initiatives viennent de voir le jour.
En novembre 2000 un confrère de Paris-Nord (M. Elie Volf), à l'IUT de St Denis, a initié un cours de zététique intitulé officiellement "Science, pseudo-sciences et Zététique », cours-TD de 6 heures pour des étudiants de 1ère année, et en avril 2001 un autre collègue (M. Vincent Laget) ouvre un "Cours de Zététique"de 10 heures à l' ESIGETEL, école d'ingénieurs spécialisés en réseaux et télécommunications située à Fontainebleau. Un essaimage est donc en train de se produire mais il est à peine commençant.
LG- Est-ce qu'en dehors de la France, ailleurs sur la planète,il existe des initiatives analogues ?
HB- Ici ou là des cours de démystification du paranormal sont dispensés ponctuellement, occasionnellement, mais à ma connaissance, aucun enseignement analogue n'est dispensé dans un cursus officiel ailleurs que dans notre Université. Enseignement sanctionné par un examen.
Depuis cette année, en premier semestre, les étudiants en Sciences de la Vie et de la Terre ont, de plus, une partie zététique obligatoire, ils ont un examen à passer en février, et en second semestre ils ont un module optionnel, c'est-à-dire que parmi plusieurs options, ils sont tenus d'en choisir une, qui en particulier peut être la zététique. Jusqu'à l'année passée l'enseignement n'était qu'optionnel mais il avait réuni plus de 1700 étudiants en 7 ans.
LG- Peut-on dire que c'est une discipline nouvelle ?
HB- Discipline est peut-être un mot excessif mais tout au moins, c'est un enseignement nouveau, qui pourrait devenir une "discipline" à part entière, pour cela il faudrait que d'autres collègues viennent appuyer la démarche... Cela est tout à fait possible... Jusqu'à présent, je le rappelle c'est la huitième année, j'étais tout seul, maintenant deux collègues physiciens de l'université de Nice-Sophia-Antipolis sont venus me rejoindre et ont un enseignement en travaux dirigés de zététique, c'est bien sûr très encourageant.
LG- Le problème pour celui qui entend le nom «zététique » pour la première fois, c'est qu'il se demande d'où sort ce mot et ce qu'il signifie ?
HB- Oui effectivement «zététique » n'est pas un nom inventé pour le plaisir d'étonner un public amateur de mots à la mode. Il vient du grec zêtein qui veut dire chercher. En fait c'est une discipline qui est pratiquée depuis l'antiquité grecque, au départ par Pyrrhon qui pratiquait un scepticisme total. Mais nous, ce n'est pas dans ce sens là que nous l'utilisons, c'est plutôt dans un sens méthodologique large c'est-à-dire pour faire référence à la capacité de l'esprit humain d'exercer ses facultés critiques. Pour ma part, je définis la zététique comme "l'Art du Doute"; en fait la méthodologie scientifique. L'avantage d'utiliser un mot peu connu, bien qu'il ne soit pas nouveau, c'est d'éviter de traîner la connotation éventuellement péjorative d'un vocable dont le sens s'est élargi par l'usage. Un exemple va éclairer tout de suite cette idée : le mot « rationalisme » à sa source traduirait assez bien une idée assez proche de la zététique, mais il a été tellement utilisé par des hommes qui commettaient, en son nom, des actes de foi, qu'il trahirait son analogie avec le mot zététique.
LG - Effectivement les mots ne restent pas toujours fidèles à l'idée qu'ils ont la charge de traduire... Pour revenir au laboratoire de zététique dans lequel nous sommes actuellement, comment s'est-il créé ?
HB - Le labo est beaucoup plus récent que l'enseignement. L'enseignement a huit ans. Il m'a fallu à peu près dix ans avant de créer ce cours. Ce temps peut sembler long, mais il faut compter avec les lenteurs administratives d'un système très lourd... L'enseignement avait six ans, lorsque la possibilité s'est offerte de créer ce labo grâce au soutien financier de Jacques Théodor, qui joue avec constance et générosité son rôle de mécène.
LG - Sans cet apport financier extérieur, l'enseignement officiel aurait-il facilité cette nouvelle activité ?
HB - L'enseignement (et la reconnaissance de cet enseignement) aurait aidé à la création d'un labo, mais il n'aurait pas pu procurer les moyens matériels conséquents qui donnent une efficacité à notre travail. Sans la demi-douzaine d'ordinateurs fonctionnant en réseau entre eux, reliés au reste du réseau universitaire, lui-même connecté à l'Internet on imagine aisément ce qui se perdrait en énergie humaine.
Notre site Internet http://www.unice.fr/zetetique/a été ouvert en décembre 1999. Le labo a été créé quelques mois auparavant. On mesure à quel point il est jeune. Il est évidemment reconnu par la Faculté des sciences et par l'Université mais avec leur subvention on aurait juste de quoi se payer quelques crayons pour l'année. L'équipement sérieux dont nous disposons composé de machines récentes et performantes et de divers appareils de mesures et d'analyses, nous le devons à Jacques Théodor, collègue chercheur qui travaillait au CNRS et maintenant retraité, qui dispose de moyens financiers personnels importants qu'il met de manière philanthropique à notre disposition; c'est lui qui finance le prix du Défi zététique pour un montant de 200000 euros.
LG- La somme est impressionnante mais en quoi consiste ce prix, comment et à quelle fin, a-t-il été créé ?
HB- Bon, en voici l'historique : l'Université de Nice a ouvert un service Minitel sur le réseau télématique en 1986, c'est-à-dire bien avant le commencement des cours. C'était le 3615 ZET, «zet» étant l'abréviation de zététique. Ce nom de service était déposé auprès de la commission nationale informatique et liberté par l'Université de Nice, tout à fait officiellement par son Président, ce qui montre qu'il y avait déjà une reconnaissance de mon action zététique par les plus hautes autorités de notre Université, qui je le rappelle est autonome comme toutes les autres universités françaises. Concrètement je plaçais des dossiers sur ce site Minitel et le Président de notre université assumait la responsabilité pénale (juridique) de cet acte d'information. Le fait d'accepter cette responsabilité me parait être une véritable reconnaissance de la qualité du travail accompli sous l'étiquette « zététique ». Sur ce service minitel, il y avait plusieurs milliers de pages-écran d'explication des phénomènes dits paranormaux. J'avais mis en ligne, à l'époque, un appel à preuves, c'est-à-dire, je disais aux médiums « Vous prétendez avoir des pouvoirs, venez nous le prouver » . J'avais lancé ce que je n'avais pas encore appelé un défi, avec la complicité de Gérard Majax qui servait de consultant illusionniste, car l'aide d'un tel professionnel est indispensable au scientifique, qui tout seul n'est pas armé par ses seules connaissances contre l'éventuelle mystification d'un escroc.
LG - Il est vrai que l'art de l'illusion au service d'un individu capable d'en utiliser les techniques, sans le frein de scrupules moraux, peut être très dangereux...
HB - Le physicien est en général par nature très confiant en la nature et en l'homme... Un psychologue habitué aux témoignages humains serait sans doute plus méfiant; quant à l'illusionniste connaissant l'envers du décor, il détecte très vite les ruses des trompeurs.
LG - Ce premier « défi », qui n'en portait pas encore le nom, date donc de 1986.
HB - Exactement et c'est l'année suivante en 1987 que Jacques Theodor a organisé un colloque sur le paranormal, à l'Université libre de Bruxelles. J'y étais invité pour apporter le témoignage de ma pratique zététique. Jacques Théodor informé de l'existence de « l'appel à preuve » du Minitel nous a proposé de mettre une somme d'argent en jeu de manière à épicer ce qui, du même coup, prenait le nom de « Défi zététique ». En fait, Jacques Théodor remettait en jeu une somme qu'il avait déjà consacrée en 1982 à défier des médiums belges.
LG - Il y avait donc un précédent au défi actuel ?
HB - Même au 19e siècle des défis analogues avaient déjà été lancés. Au 20e siècle plusieurs autres se sont succédés.
LG - C'est donc devenu presque une tradition ?
HB - Oui mais on sort de la tradition lorsque quelqu'un décide de mettre une grosse somme d'argent en jeu.
LG- Peut-on rappeler qu'il s'agit de 200000 euros ?
HB- Aujourd'hui oui, mais en 1987 cela avait démarré avec 500.000 FF. Au 100e candidat Jacques Théodor a décidé de faire passer la mise à 1.000.000 FF, et pour le 200e candidat (et la création de la nouvelle monnaie) d'augmenter le chiffre à 200.000 Euros soit environ 1.300.000 FF. Nous en sommes actuellement à 253 candidats. Et en ce moment nous avons une dizaine d'expériences en cours.
(Note importante: Cette interview date de 2001. Le Défi est arrêté depuis 2002.)
LG- Un tel défi représente le principal argument à opposer à celui qui prétend posséder des pouvoirs paranormaux et permet aussi de mettre en garde l'imprudent naïf, qui se laisse souvent berner par le premier charlatan venu. Les diverses expériences réalisées avec les candidats ont donc jusqu'à présent démontré que les pouvoirs annoncés et prétendus vérifiables n'existaient pas puisque les 200.000 Euros sont toujours en jeu.
HB- Exactement, les expériences, qui se déroulent selon un protocole prédéfini et préalablement accepté par les deux parties (les candidats et nous-mêmes), ont toutes mis en évidence que les phénomènes annoncés ne se produisaient absolument pas.
LG- Est-ce que les conditions d'expérimentation sont susceptibles de nuire aux effets de pouvoirs qui manquent peut-être de régularité dans leurs effets ?
HB- Non, les conditions d'expérimentation correspondent toujours au double aveugle de manière à "isoler" l'objet de l'expérience des expérimentateurs et les médiums ou sujets-psi candidats n'entreprennent l'expérience que lorsqu'ils estiment eux-mêmes que toutes les conditions sont favorables à l'apparition du phénomène "paranormal".
LG - Avec un tel enjeu on peut craindre qu'un trucage soit mis en œuvre par un escroc. Craignez vous ce risque ? Et avez-vous déjà démasqué des escrocs ?
HB - Le risque existe bel et bien et il faut l'assumer, c'est pour cela que les conseils des illusionnistes de l'équipe du labo nous sont très précieux. Des escrocs, nous en avons déjà rencontré, mais d'une part jusqu'à présent, ils ont été moins malins que nous et puis, ils ne sont pas nombreux, la très grande majorité des gens qui s'attaquent au Défi sont de bonne foi; il n'y a quasiment pas eu de tentative de trucage.
LG- Mais alors, est-il possible que le mystificateur soit aussi son premier client ? Voilà une information qui bouleverse complètement un préjugé que personnellement, j'aurais eu tendance à éprouver.
HB - Effectivement, il n'y a pas d'un côté les mystificateurs et de l'autre les crédules. Crédulité et (auto)mystification habitent couramment le même individu. Il y a certainement matière à intéresser les psychologues, et d'ailleurs aussi tous les autres spécialistes des sciences humaines. Les portes d'une coopération interdisciplinaire leurs sont largement ouvertes. La zététique intéresse le physicien mais elle ne lui est pas exclusivement réservée.
LG - Peut-on conserver cette idée d'ouverture et de décloisonnement entre les spécialités de la connaissance comme une introduction à la lecture de votre article intitulé "Les Prisons de l'esprit » ?
HB- Ce décloisonnement est une nécessité. En effet, analyser la croyance ou les croyances comme - entre autres - conséquence ou produit d'un processus de sociabilisation, comme explication du monde donnant un sens à la vie, comme réconfort psychologique et support social ou comme alibi à certains comportements demande effectivement un décloisonnement et une approche interdisciplinaire. Et il en est ainsi pour l'ensemble des sujets relevant du "paranormal", même pour ceux qui semblent relever uniquement du domaine du physicien.
Les prisons de l'esprit sont malheureusement beaucoup plus répandues que ce que l'on suppose en général. Raison de plus pour prôner un développement important de la zététique.