C'était en automne 1962 que j'ai été confronté pour la première fois à un phénomène très mystérieux et troublant. C'était en propédeutique, elle s'appelait alors MGP (Mathématiques Générales et Physique), et nous écoutions religieusement notre bien aimé professeur de physique, le spectroscopiste Brochard, dans l'un des Amphi F. Ecoutons-le :
"
Alors on a un vecteur angulaire qui monte le long de l'axe Oz quand ça tourne comme chti, et qui descend quand ça tourne comme chta". Telle était la mécanique que nous écoutions religieusement.
Je n'ai jamais réussi à voir ni sentir ni comprendre en quoi un "
vecteur vitesse angulaire" devait faire quelque chose sur un axe de rotation, au lieu de faire quelque chose dans l'équiplan stable par la rotation. Par "équiplan", je désigne la classe d'équivalence des plans qui se déduisent l'un de l'autre par translation dans un espace euclidien.
Remarquez, au catéchisme, c'était pareil qu'en physique sous Brochard, tout était une simple question de croyance et d'obéissance au chef : "
Dieu est infiniment bon, et il est bon infiniment. Mais c'est vrai, croyez-le mes enfants ! ...".
Pis alors l'année suivante, en électromagnétisme, ça ne s'arrange pas les mystères, voilà-t-il pas que le champ magnétique monte comme chti ou descend comme chta quand la spire de courant autour tourne comme chti ou tourne comme chta...
"
Mais c'est vrai, croyez-le mes enfants ! ...".
Donc quand vous faites une symétrie perpendiculaire à la spire, voilà que la spire de courant est retournée, mais pas le "vecteur" champ magnétique, tandis que si vous faite une symétrie parallèle à la spire, la spire est conservée mais le "vecteur" est retourné.
"
Mais la science est vraie, croyez-le mes enfants ! ...".
Trente ans plus tard, c'est mon tour d'enseigner aux jeunes gens les mystères de la mécanique rationnelle et de l'électromagnétisme appliqué. Voici ce que je lis sur le manuel que mes élèves doivent croire :
«
Soient i, j, k les trois vecteurs unitaires sur le trièdre.
Le vecteur unitaire k est le produit vectoriel du vecteur i par le vecteur j, unitaires.
i x j = k
j x k = i
k x i = j »
Or comme chacun de ces vecteurs est de dimension unitaire, soit physiquement un mètre, le vecteur k est en même temps de longueur un mètre carré.
Ce qui est une propriété fort surprenante pour un vecteur unitaire dans un repère orthonormé : 1 m = 1 m². Et tout ce qui s'ensuit : 1 m = 1 m^2 = 1 m^3 = 1 m^-1, etc.
D'autre part, i et j sont de longueur 100 cm, donc k est de longueur 10 000 cm². D'autre part, j, produit de k par i, est alors de longueur 1 m^3. Donc i, produit de j par k, est de longueur 1 m^5, ou 1010 cm^5. Etc... etc... Il n'y a aucune limite à l'absurdité.
Et comme, implicitement, un vecteur ne serait qu'une liste de (trois) nombres, et que 1 m = 100cm, alors 100 = 10 000 = 1 000 000 = 0,01, etc.
D'autre part, rappelons-nous la définition des vecteurs comme classes d'équivalences de bipoints. Considérons donc ce trièdre, dans un miroir parallèle au plan xOz, i et k sont conservés par la symétrie, mais j est retourné, donc k, produit "
vectoriel" de i par j, est retourné en -k. Donc k = -k. On peut recommencer sur les deux autres vecteurs de base, et on peut étendre par combinaison linéaire.
Ce qui démontre que la composante vectorielle, du produit "
vectoriel", est identiquement nulle.
Nous avons donc démontré, par deux fois, que le produit "
vectoriel" est une opération invalide.
Oui mais le chef, c'est le chef, donc Monsieur Lavau vous devez obéir, et enseigner ce qu'on vous dit de faire croire à vos élèves...Sciences exactes,
vous avez dit "
exactes" ?
Humpty Dumpty était plus franc, quand il répliquait à Alice : "
L'important est de savoir qui sera le maître. Un point c'est tout !"